Ci-après, un article paru le 23 août 2023 dans Le journal « Le Monde » écrit par Olivier Hébrard consultant en agroécologie, permaculture et sciences de l’eau, et animateur du site Natura 2000 Le Valat de Solan (Gard)
Les collectivités et l’Etat doivent cesser de soutenir un modèle viticole obsolète
Dans le sud de la France, les projets de bassines et de réseaux d’irrigation se multiplient pour maintenir une viticulture conventionnelle malgré ses dommages sur l’environnement, dénonce le consultant en agroécologie
Quoi de plus efficient que les mécanismes hydrologiques dans la nature ?
Dans les écosystèmes à l’équilibre, le processus de ruissellement est
généralement limité par l’infiltration de l’eau dans les sols puis dans
les aquifères. L’eau contenue dans ces deux compartiments est ensuite
progressivement redistribuée au bénéfice de la végétation et de la
biodiversité dans son ensemble, du soutien de l’étiage des sources et
des cours d’eau, mais aussi du maintien de climats plus frais et plus
humides.
Pourtant, ce fonctionnement permettant une efficience optimale du cycle
de l’eau douce est aujourd’hui de plus en plus affecté par les effets
combinés de l’imperméabilisation des sols et des changements climatiques.
Le massif montagneux du Siroua, dans le sud du Maroc, est à cet égard un
exemple sans équivoque. En l’espace de moins de quatre-vingts ans, le
surpâturage, les déboisements systémiques et les prélèvements sauvages
de plantes aromatiques et médicinales ont entraîné la perte d’une grande
partie des sols et, en conséquence, ont fait perdre aux milieux la
quasi-totalité de leur capacité à ralentir et à retenir les eaux de pluie.
Les précipitations, de plus en plus rares et de plus en plus violentes,
qui tombent sur ce massif ne bénéficient plus que très peu aux
écosystèmes et aux populations, qui n’ont parfois plus d’autre choix que
de partir. Malgré ce constat dramatique, sur ce territoire comme sur
tant d’autres, pour des raisons à la fois économiques, sociales et
culturelles, la volonté commune est de maintenir les pratiques
dominantes d’élevage, et ce, quoi qu’il en coûte pour l’environnement.
Bien que les contextes soient différents, cette situation n’est pas sans
rappeler l’acharnement à maintenir, voire à développer, certaines
pratiques agricoles délétères sur le territoire français, et ce, au
détriment de l’environnement et du bien commun. C’est le cas notamment
d’une partie de la viticulture dans le sud de la France.
Il existe presque autant de types de viticulture que de viticulteurs.
D’un côté, de plus en plus de viticulteurs vont bien au-delà du cahier
des charges de l’agriculture biologique et adoptent en particulier des
pratiques agroécologiques. L’amélioration des capacités de rétention en
eau des sols de leurs parcelles leur permet de limiter le ruissellement
et d’augmenter la proportion d’eau de pluie qui pourra s’infiltrer et
être notamment prélevée par la vigne.
Ces viticulteurs ont plutôt tendance à ne pas arroser, ou très peu.
D’ailleurs, si l’irrigation de jeunes plants de même qu’un arrosage
ponctuel estival peuvent parfois se justifier, faut-il rappeler que la
vigne est une plante relativement résistante au stress hydrique du sol,
et qu’elle n’était pratiquement pas irriguée par le passé, même dans le
sud de la France ?
A l’inverse, un grand nombre de viticulteurs ont des difficultés à
effectuer une transition vers un modèle viticole vertueux. Ils
travaillent majoritairement en agriculture dite « conventionnelle » et
cumulent souvent une mauvaise gestion des sols, diminuant les capacités
à ralentir et à retenir l’eau, et une dépendance à l’irrigation, sans
parler de la pollution des eaux de surface et souterraines souvent
engendrée.
Prélèvements irrationnels
Pourtant, sous le prétexte très réducteur de sauvegarde des emplois et
de l’économie locale, certaines collectivités territoriales mettent tout
en œuvre pour maintenir ce modèle moribond de viticulture. Dans le sud
de la France, les projets d’extension de réseaux d’irrigation se
multiplient, de même que les projets de retenues dites « de substitution ».
Dans l’Hérault, par exemple, il est notamment prévu d’étendre le réseau
d’irrigation de plus de 20 000 hectares, essentiellement pour la vigne,
et de réaliser sept grands ouvrages nommés « retenues hivernales »,
sortes de bassines pour lesquelles l’eau sera prélevée l’hiver sur le Rhône.
Tel un cercle vicieux, par la recherche et la mise en place de ces
nouveaux approvisionnements en eau, le soutien à ce modèle viticole
obsolète – qui favorise le maintien de pratiques qui dégradent les sols,
accentuant le ruissellement ainsi que l’érosion, et qui entraîne des
prélèvements en eau croissants et irrationnels qui ne feront que creuser
les déficits hydrologiques globaux – ne va faire que poursuivre la
dégradation des milieux et conduire à l’épuisement global des ressources
en eau.
Par ailleurs, sur des territoires peu autonomes sur le plan alimentaire
et où l’eau commence à manquer, mobiliser cette ressource pour des
cultures non alimentaires – et qui de surcroît présentent théoriquement
de faibles besoins en eau – pose question.
Les subventions des collectivités et de l’Etat, parfois très
conséquentes, doivent cesser de soutenir cette politique du « quoi qu’il
en coûte » pour l’environnement, mais plutôt pleinement encourager et
accompagner financièrement et techniquement la transition des
agriculteurs vers la généralisation de pratiques vertueuses telles que
celles associées à l’agroécologie paysanne. Elles doivent servir à
soutenir le déploiement d’une agriculture qui sera efficiente sur les
plans agronomique, hydrologique, écologique et économique.
Olivier Hébrardest consultant en agroécologie, permaculture et sciences de l’eau, et animateur du site Natura 2000 Le Valat de Solan (Gard)