Après les attentats. Une urgence, faire de la jeunesse la priorité de l’action publique et politique

Jeudi, 28 Juillet, 2016, Humanite.fr
Par Jean Claude Mairal, président du Conseil de développement du Pays Vichy Auvergne, Auteur de « Peuple citoyen, la démocratie le défi de notre temps » (éditions Arcane 17)

Une nouvelle fois, après celui de Nice qui a fait 84 morts notre pays a été victime d’un attentat à Saint-Etienne-du-Rouvray. Face à l’horreur chacun ne peut qu’exprimer son émotion et sa solidarité vis à vis des victimes et de leurs familles. Et n’oublions pas toutes les autres victimes d’attentats à travers le monde, à qui nous devons exprimer également notre solidarité. De tels actes odieux et barbares ne peuvent qu’entraîner une condamnation unanime et sans appel. Mais cela ne doit pas empêcher de comprendre pourquoi nous sommes arrivés à une telle situation que certains nomment « guerre ».

Les mesures de sécurité indispensables à prendre, ne doivent pas occulter la nécessaire réflexion sur les causes de ces dérives mortifères, si on veut pouvoir les combattre efficacement et permettre à notre société et à notre République, de retrouver sérénité et harmonie entre toutes les composantes de sa population. Sinon nous serons dans une situation de « guerre » permanente, voire de « guerre civile » qui mettra en danger la démocratie et nos libertés.
Sans parler des réactions politiques d’une partie de la droite et de l’extrême droite prêtes à mettre en cause l’Etat de droit et une partie de nos libertés, peu de responsables à gauche et ce depuis plusieurs mois, n’abordent véritablement ce qui est à la racine de cette violence mortifère. Leur seule perspective aux uns et aux autres, c’est l’élection présidentielle et accessoirement les législatives. Conserver ou reprendre le pouvoir est quasiment leur seule ligne de conduite. Alors que le feu est à la maison. Consternant! Alors que des universitaires, sociologues, anthropologues, psychologues, politologues, économistes, etc fournissent des analyses pertinentes depuis de nombreuses années sur le mal être et la crise de notre société. On les écoute poliment, mais on ne les entend pas. Pire pour le 1er ministre vouloir comprendre, c’est déjà excuser!

Un élément saute aux yeux, c’est que ce sont des jeunes qui sont à l’origine de ces attentats qui ensanglantent notre pays? Des jeunes qui donnent la mort en choisissant de mourir. Sans les mettre sur le même plan il y a aussi des jeunes-que l’on nomme « les casseurs »- qui revendiquent la violence comme mode d’action politique pour combattre cette société et ceux qui la dirigent. Il y a ces jeunes que l’on appelle les « zadistes » qui contestent nombre de projets (barrage de Sivens, aéroport de notre Dames des Landes, etc.) expression pour eux de la société de consommation. Il y a ces jeunes qui dans les campagnes et dans le périurbain se radicalisent à l’extrême droite, près à en découdre et dont certains d’entre eux votent FN. Il y a ces jeunes qui dans des quartiers à l’abandon, faute de travail sombrent dans la délinquance et choisissent  les trafics en tout genre (drogue, armes, etc.) quitte à en mourir (cf les enquêtes dans le journal La Marseillaise de Philippe Pujol, prix Albert Londres » dans les quartiers nord de Marseille et publié sous le titre « La fabrique du monstre », éditions les Arènes).Quant on a comme seule perspective la délinquance avec la mort au bout, le saut et vite fait pour certains de rallier le djihad et donner un sens à leur vie, même si c’est la mort au bout du chemin pour eux et pour des innocents. Il y a tous ces jeunes qui ne votent plus. Il y a ceux qui partent sous des cieux plus cléments pour trouver un travail que notre pays est incapable de leur donner. Bref une partie importante de la jeunesse se sent exclue d’une société où les valeurs du bonheur promus à longueur de publicité et de médias, sont l’argent et la consommation.Constat terrible et accusateur pour cette société, incapable de donner du sens, un sens positif et altruiste, à la vie et à l’avenir de ces jeunes.

Depuis plus de 10 ans Alain Bertho, anthropologue suit et analyse les mouvements et émeutes de jeunes en France et dans le monde. A l’occasion de la sortie de son livre « les enfants du chaos » (éditions La Découverte) à la question: »Qu’y avait-il à entendre et à comprendre des émeutes françaises de 2005 ? », il répond: » C’est la révolte d’une jeunesse qui n’en peut plus de porter le poids de la relégation de ses parents et de la stigmatisation qui la touche, d’être regardée comme une menace, contrôlée trois fois par jour, d’être considérée comme pas tout à fait française. Le silence de la classe politique après la mort de Zyed et Bouna a provoqué l’explosion à l’échelle nationale. La seule réponse a été la répression. Le monde politique dans son ensemble les a laissés seuls, condamnant les incendies de voiture mais pas la mort de deux jeunes ! On a laissé s’élargir cette fracture qui s’est ensuite confessionalisée entre une « laïcité » agressive du côté de l’Etat et la montée de la pratique religieuse. La politique n’étant plus d’aucun secours, ni aux parents, ni aux enfants, elle est de fait remplacée par la religion. » Et de poursuivre: «  »Quelle voie peut aujourd’hui emprunter une révolte sans espoir, sans un Nous porteur d’avenir collectif? On ne le voit que trop bien à travers la montée des extrêmes droites racistes et xénophobes, d’un côté et du djihadisme meurtrier et suicidaire, de l’autre. » Ainsi Pascale Krémer titrait son article du journal Le Monde du 25 février 2014: « Frustrée la jeunesse française rêve d’en découdre ». Elle s’appuyait sur les réponses des 210 000 jeunes de 18 à 34 ans au questionnaire de l’automne 2013 « génération quoi? » de France Télévisions. De cette enquête il ressortait que pour ces jeunes la définition de leur génération était « sacrifiée », « étouffée » ou « perdue ». Pour 70% d’entre eux la société française ne leur donne pas les moyens de montrer ce dont ils sont capable. Constat terrible!Pour les sociologues de la jeunesse, Cécile Van de Velde et Camille Peugny, cette situation de la jeunesse « est comparable à une cocote minute qui n’aurait pas de soupape ». Ils notaient , »A l’image de ce qui se passe dans l’ensemble de la société, une grosse minorité campe sur des positions autoritaires et xénophobes ». « Une véritable bombe à retardement », craint Cécile Van de Velde. « Ce sont les jeunes invisibles, dans des vies d’impasse, perdants de la mondialisation. Beaucoup de ruraux et de périurbains, en difficulté, déclassés. Ils sont souvent tentés par le Front national. » (Le monde du 25 février 2014). Christiane Taubira après sa sortie du gouvernement a parfaitement décrit la situation de la jeunesse dans son livre « Murmure à la jeunesse » (éditions Philippe Rey).

Tenir ces propos, ce n’est pas excuser les actes barbares auxquels nous venons d’assister de nouveau à Nice ou toutes autres formes de violence ou de délinquance- il faut les condamner et les réprimer- mais il faut assécher le terreau qui les nourrissent. Sinon nous irons vers des jours sombres et terribles. Certes il n’y a pas de fatalisme à cette situation comme le souligne un ancien ministre, à condition de prendre les mesures qui s’imposent. Il est désormais urgent et indispensable de faire de la jeunesse, la priorité de toutes les politiques publiques, pour lui donner espoir et avenir. De mettre les jeunes au cœur des processus de décisions, de leur faire confiance et de leur donner toute leur place dans toutes les instances. Pourtant les appels, les analyses et les propositions des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire n’ont pas manqué depuis des années. Consciente du problème, Marie-George Buffet, alors ministre de la jeunesse et des sports avait dès son arrivée au ministère en 1997, mobilisé tous les acteurs et initié les rencontres départementales de la jeunesse. Une véritable dynamique avait été lancée, malheureusement peu suivi d’effets au plan gouvernemental, malgré les efforts de la Ministre. En 2012 ce fut la création du forum français de la jeunesse, assemblée autonome des pouvoirs publics réunissant 18 principales organisations de jeunes (gérées et animées entièrement par eux) dont le Mouvement de la jeunesse communiste. En juin 2015, 26 organisations d’éducation populaire lancent un appel « Pour un big bang des politiques jeunesse » assorti de propositions. Il y a eu également depuis 2012, 3 comités interministérielles de la jeunesse. Au lendemain des attentats du 13 novembre dans une lettre ouverte du 18 novembre au Président de la République et au Premier Ministre, le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne proposait « d’ouvrir des espaces de débats dans tous les quartiers et les villages. Pourquoi ne pas banaliser des demi-journées en entreprise ou à l’école, pour permettre à chaque citoyen d’apporter sa pierre dans la construction d’une solution moins coûteuse en vies humaines ? ». Dans un appel le 29 novembre 2015 intitulé « La génération de la crise ne sera pas celle de la guerre ! », l’UNEF, les Jeunes Communistes, les Jeunes CGT, la JOC, le MRJC, l’UNL, la maison des potes, les jeunes écolos, DIDF-jeunes, le Parti de Gauche, Ensemble et les JRG appelaient « à la constitution d’espaces d’échange, de débat et d’engagements ouverts à l’ensemble des jeunes pour que la société de demain ne se construise pas sans nous ». Qu’attendent le gouvernement, les responsables politiques et les élus pour favoriser de telles initiatives et lieux d’échanges! L’urgence est là.
C’est dans une synergie entre actions concrètes dans les territoires (améliorer la vie des jeunes), entre réflexions, débats démocratiques et actions en faveur d’un big bang des politiques jeunesse au plan national et européen associée aux dynamiques citoyennes pour créer une alternative à cette société capitaliste déshumanisante et mortifère, qu’il faut répondre aux attentes de la jeunesse et redonner espoir. C’est à ce prix que l’on aura des chances d’assécher le terreau de la violence. Encore faut-il en avoir la volonté et l’ambition politique !

Jean-Claude Mairal