Des chercheurs réclament des éclaircissements après le refus du financement de leurs travaux sur les pesticides. En d’autres circonstances, les pouvoirs publics ne se montrent pas toujours aussi regardants sur les études qu’ils financent.
Généralement, lorsque le financement d’un de leurs projets de recherche est rejeté, les chercheurs grognent un peu, se désolent du temps qu’ils vont devoir perdre à remplir de nouveaux dossiers de demande de fonds, et retournent ensuite gentiment à leur paillasse.
Mais cette fois, les choses ne se sont pas passées aussi paisiblement. Une douzaine de scientifiques et de médecins, praticiens hospitaliers ou chercheurs attachés à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou au CNRS, ont adressé aux ministres de l’agriculture, de la santé et de l’environnement, le 10 octobre, une demande d’éclaircissements après avoir essuyé le refus du financement de leurs travaux. A cette démarche très inhabituelle, s’en est ajoutée une autre : ils ont rendu publiques leurs doléances.
Leur projet répondait à une inquiétude des médecins du service d’oncologie-hématologie du centre hospitalier d’Avignon (Vaucluse). « On y enregistre 280 à 300 nouveaux cas de différents cancers du sang par an et ce chiffre est en augmentation ces dernières années, dit l’un des pétitionnaires. Le bassin de population n’ayant pas suffisamment augmenté pour expliquer cette tendance, il est difficile de se dire que rien ne se passe. »
« Une décision de nature politique »
Or, on sait que l’exposition à certains pesticides augmente le risque de ces maladies : l’objectif des chercheurs était donc de reconstituer le parcours professionnel et les lieux fréquentés par les malades, pour suggérer ou écarter un lien avec certains usages de produits phytosanitaires.
Le dossier était pourtant classé priorité 1, et ses quelque 230 000 euros de budget devaient être pris en charge
De plus, outre le cas particulier d’Avignon, les données sur les risques encourus par les travailleurs agricoles et les riverains d’exploitations, du fait de leur exposition aux « phytos », sont encore rares et/ou peu solides. Cette lacune est régulièrement soulignée par les agences sanitaires françaises.
Au printemps 2016, les chercheurs répondent donc à l’appel à projets du plan « Ecophyto II », le plan piloté par les ministères de l’environnement et de l’agriculture et dont l’objectif est la maîtrise de l’usage des pesticides et des risques qu’ils présentent. Tout se passe bien. Ils sont rapidement informés, de manière informelle, que leur dossier est classé « priorité 1 » et que ses quelque 230 000 euros de budget devraient être pris en charge. Soit pas grand-chose au regard du coût des traitements de certains cancers lymphatiques, qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par an et par patient.
Mais quelques semaines plus tard, un courriel laconique du ministère de l’agriculture leur annonce que leur demande n’a pas été retenue. « En l’absence de toute justification scientifique précise des raisons de ce refus, écrivent les chercheurs dans leur lettre, celui-ci nous apparaît comme une décision de nature politique qui, malheureusement, contribue au maintien de l’invisibilité des maladies liées à l’exposition professionnelle et environnementale aux pesticides. »
Le pathétique feuilleton de l’étiquetage nutritionnel
Contacté par Le Monde, le ministère de l’agriculture n’était pas en mesure, vendredi 16 octobre, d’expliquer la volte-face du comité de sélection des projets – comité dont la composition n’est pas publique. Il est probable que les arguments qui seront, in fine, opposés aux chercheurs malheureux porteront sur les failles de leur protocole, la taille de l’échantillon étudié, l’impossibilité de parvenir à une conclusion solide à partir des données disponibles, etc.
Après tout, le projet des chercheurs présente peut-être de telles lacunes. Mais force est de constater qu’en d’autres circonstances et face à d’autres acteurs, les pouvoirs publics se montrent beaucoup, beaucoup moins regardants sur la qualité des études qu’ils financent. En témoigne le pathétique feuilleton de l’étiquetage nutritionnel, dont mes consœurs Stéphane Horel et Pascale Santi tiennent l’intransigeante chronique (Le Monde des 9 et 12 juillet).
Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents de ce vaudeville, rappelons que l’équipe d’épidémiologie nutritionnelle du professeur Serge Hercberg (université Paris-13, Inserm, INRA) a bâti un indicateur simple — un logo à cinq couleurs, du vert au rouge, dit « 5C » — informant les consommateurs des qualités nutritionnelles des aliments.
Sans surprise, les industriels de l’agroalimentaire s’opposent à cette signalétique qu’ils jugent stigmatisante pour leurs produits, et proposent leurs propres logos. Mais dans un avis rendu en août 2015, le Haut Conseil de la santé publique a estimé que le « 5C » était le plus efficace de tous.
Intense lobbying
Après un intense lobbying auprès de la ministre de la santé, Marisol Touraine, les industriels ont pourtant obtenu, début 2016, la conduite d’une nouvelle étude grandeur nature, c’est-à-dire conduite en supermarché, pour comparer leurs propres signalétiques avec le « 5C ».
Hélas ! Une telle enquête pourrait avoir des vertus, mais elle a été construite dans de telles conditions de conflit d’intérêts, et avec un protocole expérimental si défaillant (durée trop courte, étiquetage partiel des produits, rayons sélectivement inclus dans l’enquête, etc.), que près de la moitié des membres de son comité scientifique ont démissionné.
Ses failles sont si béantes, sa mise en place, le 26 septembre, est si discutable (Le Monde du 6 octobre) qu’il est légitime de penser que son but n’est pas tant d’apporter des connaissances nouvelles que de jeter de la confusion sur le savoir existant. De brouiller les pistes, de produire du doute à dessein. D’éviter de savoir.
Les pouvoirs publics ont-ils cherché noise au protocole ? Ont-ils critiqué sa puissance statistique, sa redondance avec des données déjà disponibles ? Non : ils ont accordé près d’un million d’euros (partiellement ponctionnés sur le budget de l’Assurance maladie) à ce désastre éthique et scientifique.
Stéphane Foucart, Le Monde